Née en 1942 à Marseille d’un père originaire de Nîmes, Robert Pagès, officier de l’armée de l’Air, engagé dans la résistance, et d’une mère originaire de Mâcon, Renée Rigade, licenciée en droit, qui se rencontrèrent à Rabat au Maroc en 1940 et avaient tous deux comme livres de chevet la Bhagavad-gîtâ et les poèmes de Tagore, l’auteur fut nommée Brigitte, du nom de la Grande Déesse Celte ; mais par la suite elle aura honte de ce prénom, rendu célèbre par une actrice de cinéma provocante et légère alors en vogue. Ses parents vinrent s’établir après la guerre en région parisienne, à Meudon, et eurent encore trois autres enfants. 
    Elevée dans la religion catholique, elle est déçue par le faible niveau des sermons du curé en chaire, surtout quand elle apprend que la prêtrise et la prise de parole dans l’Eglise ne sont pas ouvertes aux femmes. Dès son enfance, elle est captivée par la mythologie gréco-latine, puis par l’archéologie, sa mère lui fait découvrir l’ œuvre de Schwaller de Lubicz,
et elle se passionne pour l’étude des civilisations anciennes (minoenne, grecque, étrusque, sumérienne, égyptienne, indienne, chinoise).

    Elle fait ses études de la 6e à la 2e au Lycée de Sèvres, puis la 1ière au Lycée Victor Duruy à Paris, et obtient le 3e prix au Concours général de Philosophie. Elle dévore les livres de la bibliothèque de son père, lui-même écrivain, poète, intellectuellement très ouvert, et dans une recherche intérieure, participant avec sa mère à un groupe spirituel. Elle pressent la présence d’un enseignement initiatique, mais le respecte en ne posant pas de questions. Mais son père est aussi un admirateur fervent de Nietzche, et veut s’affirmer libre par delà le bien et le mal, ce qui altère son sens de l’éthique.

    A quatorze ans, elle a un premier et soudain éveil spirituel en tombant par hasard sur une page de métaphysique de René Guenon . Elle découvre ses œuvres et s’en nourrit. La lecture de la Crise du monde moderne,
de Le règne de la quantité et les signes des temps la confirme dans ses pressentiments de l’anormalité des temps modernes, et lui fait accepter l’idée d’une Tradition primordiale expliquant sa “nostalgie des origines”. Elle fait un peu d’égyptologie à l’Ecole du Louvre, puis se tourne vers la civilisation indienne, la seule encore à avoir échappé aux destructions et maintenu une continuité ininterrompue pendant des millénaires depuis la nuit des temps.

  Plus précisément, la lecture des Études sur l’Hindouisme, de l’Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, et de l’Homme et son devenir selon le Vedânta de René Guénon l’oriente résolument vers la recherche en Inde de cette Tradition encore préservée et vivante. Deux autres lectures sont déterminantes dans cette orientation : une traduction abrégée du Râmâyana : “La légende de Râma et Sîtâ”, par Gaston Courtillier, et L’enseignement de Râmakrishna, traduit en français par Jean Herbert.

   
Cheminant par le cursus universitaire, elle obtient en 1963 une Licence ès Lettres classiques à la Sorbonne (certificat de Littérature française, Études grecques, Études latines, Grammaire et Philologie des langues indo-européennes), puis commence l’apprentissage du sanscrit avec pour maîtres Louis Renou, Armand Minard et Anne-Marie Esnoul à la Sorbonne.

  En même temps, grâce à la lecture de Fragments d’un enseignement inconnu d’Ouspensky, elle découvre les groupes de « Travail » de Gurdjieff et participe à l’un d’eux avec René Zuber et le Dr Jean Vaysse sous la direction de Madame de Saltzmann.

    Elle fréquente aussi le CEMO (Centre d’Etudes de Musique Orientale) et son cercle de musicologues et amateurs passionnés (Jean During, Patrick Moutal, Nelly Caron, Eléonore de Lavandeyra et bien d’autres), elle apprend le Santur avec le musicien iranien Dariush Safvat, et se joint à l’accueil fait à Paris aux frères Dagar, maîtres du Dhrupad, le style le plus ancien et le plus subtil de musique vocale.

    Depuis l’adolescence elle a appris la pratique des postures de yoga avec l’Indien Shri Mahesh à Paris, qui l’a encouragée à continuer.

   
En 1964, elle rencontre Pandit Ram NARAYAN
lors de sa première venue à Paris; c'est  le grand musicien hindousthani qui a porté l’instrument nommé sarangî (“vièle aux cent couleurs”) au rang d’un instrument solo. La musique profonde, à la fois grave et lancinante, de ce maestro a sur elle un immense impact émotionnel, la bouleverse, lui révèle que l’Inde est l’univers spirituel auquel elle appartient intimement ; elle fait sa connaissance, lui fait visiter Paris, et la compréhension profonde qui les rend soudain extrêmement proches la détache de ses relations d’alors dans les milieux de l’art contemporain. C’est un coup de foudre, une ouverture à la grâce divine qui la fait flotter dans une joie et une béatitude insoupçonnées, dont l’impression ineffaçable se prolonge pendant plusieurs mois et lui donne des ailes.

    Néanmoins, il faut vivre, et financer ses études, en travaillant comme hôtesse, vendeuse, en donnant des leçons de latin, de grec, de littérature, dans des boîtes à bac, et par des cours particuliers, car ses parents n’approuvent pas son orientation, et ne financent pas ses études, trouvant leur fille aînée « idéaliste », « dans la lune », « dans un rêve », et lui prédisent sa perte; son père voudrait qu’elle « se tourne vers une profession commerciale, ou épouse un homme riche ».

    Un an après, alors qu’elle est sur le point de partir en Inde pour rejoindre le Pandit, un inconnu lui téléphone pour lui communiquer des adresses d’ashrams indiens : c’est le musicien compositeur des pièces de piano pour les « danses sacrées » ou « mouvements » des groupes Gurdjieff, le continuateur de Thomas de Hartmann :
Edouard MICHAËL. Il vivait en ascète dans une petite chambre de bonne de la rue du Cherche-midi.

    Elle noue rapidement une grande amitié avec lui. Issu d’une famille juive d’Irak, il est né à Manchester en 1921 en Angleterre où sa famille s’est réfugiée pour échapper à des massacres par les musulmans ; il a été embrigadé, à peine arrivé, adolescent, et ne parlant pas encore un mot d’anglais, comme simple fantassin dans la Seconde guerre mondiale, où il fut soumis à d’incessantes brimades, éprouva maints traumatismes et contracta des troubles abdominaux sévères. Après la guerre, ayant fait en Angleterre une carrière de violoniste, il s’était tourné vers la composition pour orchestre symphonique, et il était venu en France dès 1950 pour étudier la composition avec Nadia Boulanger. Il avait déjà écrit de nombreuses œuvres musicales. Mais déjà, il avait désespéré de faire une carrière dans la musique.

    En effet, en France à cette époque, la musique tonale n’était plus guère de mode, c’était le triomphe de la musique concrète, sérielle, dodécaphonique, électronique, et autres folies modernes ; Edouard Michaël n’arrivait pas à percer, bien qu’il écrive aussi pour les films et se soit même résigné à faire de l’illustration radiophonique.
Tourné vers la spiritualité, mais surtout vers le Bouddhisme, il avait eu une expérience mystique du Christ, à la suite de laquelle il avait écrit une messe pour chœur et orchestre. Il pratiquait les postures de Hatha-yoga que lui avait enseignées Jean Klein, ainsi que toutes sortes de méthodes de méditation bouddhistes et de « rappel de soi ». L’auteur est impressionnée par son expérience et touchée par une droiture et une intégrité qu’elle n’avait pas trouvée chez son père, et s’éprend de lui malgré sa pauvreté et ses vingt ans de plus, pensant dans son dynamisme et sa joie de vivre, qu’elle pourra l’aider à surmonter tous les obstacles, et réaliser leur rêve commun d’aller en Inde. Elle prend la décision de retarder son départ en Inde afin d’arriver à l’y emmener. Elle veut partager ses épreuves et apprendre de lui les méthodes de rappel et de méditation. Après la descente de la ‘grâce’, le temps lui semble venu pour ‘l’effort’. Il est le premier qui encourage l’auteur et lui donne un soutien moral, dans un milieu généralement défavorable à ses aspirations.
   Elle l’épouse à Paris le 17 décembre 1966. Après le mariage,
ils s’installèrent quelques temps dans un appartement rue Ledru Rollin. Peu après elle apprit que son amie Milena Salvini, avait obtenu une Bourse pour étudier le Kathakali en Inde. Elle devait à son retour fonder le Centre Mandapa à Paris.
    C’est à cette époque, entre 1965 et 1967, qu’elle travaille aussi comme secrétaire pour un homme remarquable, qui met une chambre à sa disposition dans le quartier latin à Paris: Philippe LAVASTINE, sanscritiste et conférencier de génie, qui avait passé plusieurs années à l’Université Hindoue de Bénarès, en disciple des Pandits Motilal Sharma et Vasudeva Agrawala, maîtres du symbolisme védique. C’était un grand stimulant intellectuel. Autour des intuitions fulgurantes de Philippe s’assemblait un cercle d’amis et d’intellectuels éminents,
Mounir HAFEZ, Paul Barba-Negra, Dr. Leboyer, Yane Le Toumelin, Michel Random, Jean-Marc Tapié de Céleyran, Ludovic Segarra, et d’autres gens de lettres.

    Ayant acquis le certificat de sanscrit classique avec option védique et littérature sanscrite, à l’université de Paris en nov. 1965, elle continue à étudier à la fois la civilisation de l’Inde ancienne à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (section Sciences Religieuses), à la Sorbonne, et celle de l’Inde contemporaine à l’Ecole Nationale des Langues Orientales Vivantes (l’actuel I.N.A.L.C.O.), où elle reçoit en 1967 le diplôme de Hindi et de sociologie, économie et histoire de l’Inde du XVIIIe siècle à nos jours. Elle y a découvert un nouveau maître à penser, le sociologue René Dumont, auteur de Homo Hierarchicus, qui lui fera comprendre le sens profond de la division de la société indienne en quatre catégories hiérarchisées (varna) dans lesquelles se répartissent les innombrables communautés de naissance (jâti) appelées communément castes. Cette compréhension lui sera essentielle pour ne pas se heurter comme le font la plupart des Occidentaux, et comme le fera même son mari, à la réalité sociale indienne avec leurs préjugés égalitaires.

    En 1968, elle obtient une bourse de deux ans, accordée par le Gouvernement Indien, pour poursuivre ses études  de sanscrit à Pune (Poona en anglais) dans le Maharashtra.

   
Elle y va la première, pour y préparer un hébergement, et elle est rejointe peu de temps après par son mari. Cela permet à celui-ci de bénéficier de conditions propices, quoique d’un confort rudimentaire, de ne plus s’angoisser pour subvenir à ses besoins, et de consacrer tout son temps à la pratique de ses exercices spirituels, à la composition de sa musique (il y écrira La tragédie de Massada, une œuvre descriptive), ainsi qu’à la rencontre et au dialogue avec des maîtres spirituels ou réputés tels. Il tient absolument à faire la cuisine lui-même pour éviter toute contamination, car il souffre de troubles intestinaux, mais elle engage un serviteur pour les courses et le ménage. Il peut aussi économiser ses droits de compositeur, qu’il consacrera à financer leurs voyages dans l’Inde du Nord et au Népal.

    A Pune, elle se lie à des professeurs éminents de l’Université de Poona et du Deccan College, en particulier Dr. R.N. VALE qui la guidera dans la lecture de textes sanscrits importants, d’abord la Taittiriya-upanishad, puis le premier traité de Yoga important auquel elle va s’attaquer, « la petite torche du Hatha-yoga »

    Avant cela, elle fait un tour d’horizon des divers domaines de l’Indianisme, puisqu’il lui est imposé de se spécialiser rapidement. Après une étude de l’Adhyâtma-Râmâyana (épopée de Râma interprétée en mode intériorisé comme une conquête spirituelle), elle choisit de centrer ses recherches sur l’ensemble de pratiques et de conceptions englobées dans l’Hindouisme sous le terme de Yoga, ce qui couvre toutes les méthodes de réalisation du quatrième but de l’existence, la libération spirituelle (moksha).

Dans un premier temps, elle défriche le sujet par la traduction d’un ouvrage sur le Hatha-yoga, la forme de yoga déjà connue en Occident par des notions très superficielles et uniquement par ses pratiques préliminaires : la gradation des étapes de cette voie et sa finalité étaient en général ignorées ou passées sous silence dans le grand public, malgré ce que Guénon avait écrit à ce sujet, et seuls des travaux scientifiques médicaux consacrés à ce yoga avaient quelque notoriété. Elle souhaite marcher sur les traces de
Mircéa ELIADE qu’elle admire beaucoup, et qui a déjà écrit un livre fondamental : Yoga, immortalité et liberté.

L’auteur inclut dans ce premier travail la traduction commentée du principal manuel sanscrit qui traite de cette discipline et de ses visées, la Hatha-yoga-pradîpika. Elle ajoute dans ses annotations des comparaisons systématiques avec les deux autres traités de Hatha-yoga, la Shiva-samhitâ et la Gheranda-samhitâ. Ce travail, présenté à son retour comme thèse de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (1970), est par la suite, grâce à l’appui chaleureux de Jacques Masui, publié par Fayard dans sa collection “Documents spirituels” (1974).

Durant tout son séjour à Pune, elle bénéficie de la direction spirituelle d’une femme-yogin (une yoginî) que son mari et elle-même ont rencontrée peu après leur arrivée :
Mâtâji INDIRA DEVÎ, qui enseigne selon une voie de bhakti vishnouïte, mais sans aucun sectarisme. Cette femme extraordinaire prétend n’être qu’une humble disciple et n’avoir atteint ses accomplissements que par la grâce de son gourou, Dilip Kumar Roy, un chanteur Bengali de Bhajan et un sâdhu, lui-même disciple de Shrî AUROBINDO ; Mâtâji rayonne d’une aura d’amour lumineuse et entre fréquemment en samâdhi, même contre son gré. Cette yoginî confère à celle qui ne s’appelait alors que Brigitte le prénom de Târâ.

Tara veut mettre en pratique le Yoga dont elle étudie la théorie. Elle s’efforce d’abord de bénéficier de l’enseignement du maître réputé B. K.S. IYENGAR, qui réside à Pune. Mais malgré son indéniable maîtrise technique, elle trouve sa méthode trop brutale et violente. Elle s’adresse alors à sa fille, Gîtâ IYENGAR, qui possède la même maîtrise technique, mais par sa féminité est plus douce, quoique déjà suffisamment énergique, et obtient de travailler avec elle en cours privés. En deux ans, Tara acquière une souplesse et une dextérité exceptionnelles dans cet aspect du yoga, et revient de chaque séance fourbue et moulue en profondeur, mais profondément stimulée.

    Néanmoins l’aspect de concentration et de méditation n’est pas approfondi dans l’enseignement ni du père ni de la fille Iyengar. Aussi T.M., bien qu’observant les instructions de bhakti de Mataji Indirâ Devî et se rendant fréquemment à ses pieds pour des entretiens personnels, et lui faisant pleinement confiance, recherche un yogin qui lui enseignerait la concentration en un seul point (ekagratâ) telle qu’elle est proposée par Patañjali dans ses Yoga-sûtra.

    Pour la ramener au sens des réalités, à l’Université Hindoue de Bénarès, lorsqu’elle interroge les Pandits et professeurs sur la transmission de « l’approche » (darshana) du Yoga, ils lui répondirent : cinq des six darshana ont été transmis, le Nyâya, le Vaisheshika, le Sâmkhya, la Mîmâmsâ et le Vedânta. Mais pour le Yoga, il vous faut aller dans les forêts, dans les montagnes, sur l’Himalaya. Mais comme vous êtes charmante, il faudra vous méfier des tours de magie noire et des pouvoirs d’enchantement de certains sâdhus.

    Malgré ces mises en garde, comme Edouard Michaël souffre beaucoup du mal des voyages, en général Tara part la première, établit les contacts, arrange un hébergement, et quand tout est organisé, elle emmène son mari avoir les entrevues et les entretiens désirés avec les maîtres. Ils parcoururent ainsi une grande partie de l’Inde du Nord
, et acquirent une expérience du monde culturel, social et religieux du Mahârâshtra en particulier (pèlerinages d’Alandi et de Pandharpur, ferveur religieuse populaire, goût très vif même des castes les plus humbles pour la musique hindousthanie et les traditions folkloriques). Ils rencontrent Guy Deleury, familier avec le pèlerinage de Pandharpur et la poésie de Nâmdev, et ils sympathisent avec lui.

    Ils entrent en contact l’enseignement donné au Centre de Yoga de Kaivalyadhama à Lonavla, situé sur les ghats entre Bombay et Pune, centre fondé par le Swami Digambarji pour créer une recherche scientifique sur les techniques du Yoga et publier des éditions critiques de manuscrits sur le Yoga. Elle se lie d’amitié avec le Dr. Gharote.

   Ils reçurent une première instruction mémorable sur la transmission de la puissance ou Shakti divine par un adepte du culte de Dattatreya,  V. D. Gulavni Maharaj, un maître mahratte inconnu en Europe, mais qui avait de nombreux disciples à Pune, où ses 80 ans avaient donné lieu à une grande célébration ; il avait pour disciple un maître plus connu, Swami Vishnu Thirtha Maharaj, qui avait posé dans sa jeunesse en tant que Hatha-yogin pour divers livres sur les postures, et avait écrit un livre remarquable sur le
Kundalinî-yoga : Devâtma-shakti, Kundalinî the Divine Power, prefacé par Gopinath Kaviraj.

    Ils eurent aussi le privilège de séjourner à l’ashram de Swami Muktânanda, disciple de Bhagavan Nityânanda, à Ganeshpuri dans le district de Thana, où résonnaient les mantras psalmodiés du matin au soir.

  Ce maître de la transmission directe de l’Energie éveillée, Shakti-pâta, écrivit d’ailleurs en 1972 une autobiographie remarquable, Chit-shakti-vilâs, qui fut appréciée même par de savants érudits, traduite en français dès 1974, et publiée en 1984 par l’éditeur Guy Trédaniel sous le titre Le jeu de la Conscience. Il fonda par la suite en France dès 1970 un accès à la voie des Siddhas (Siddha-mârga) qu’il préconisait, en créant un Centre de méditation Siddha Yoga à Evry, voie perpétuée par la suite par la Swaminî Chidvilâsânanda. C’était la première fois que Tara rencontrait cette voie et elle y fut sensibilisée.

    Edouard et Tara ne négligèrent pas les maîtres bouddhistes, rendus célèbres par le film d’Arnaud Desjardins, Le message des Tibétains, et qui sont censés avoir mieux préservé que les hindous les techniques de méditation.
Ils les recherchèrent même spécialement. Tara avait découvert les écrits de Lama Anagarika Govinda, qui l’avaient émerveillée. Lors d’un voyage à Darjeeling, ils en rencontrent de remarquables, comme un yogin nommé Nono Rimpoche, adepte de ce qui correspond dans la tradition tibétaine au Kundalinî-yoga dans l’Hindouisme.

    Cependant les difficultés de communication créées par la présence d’un traducteur peu qualifié découragent Tara de se rattacher à la tradition tibétaine. A Bénarès, elle apprécie et absorbe avec délice l’enseignement de Lama Anagarika Munindra qui préconise la méthode de vigilance continuelle nommée satipatthana.

T.M. découvre aussi l’enseignement par sessions
de dix jours de
Shrî S.N. GOENKA, un ex homme d’affaires de Burma devenu disciple d’U Ba Khin, un grand maître bouddhiste de Birmanie. Il a été autorisé à répandre sa technique de concentration et de méditation nommée Vipassana (en pali, du sanscrit vipashyana). Elle est la première disciple occidentale de  Goenka, le ‘découvre’ au tout début de sa prédication, fait plusieurs sessions avec lui, puis lui amène Edouard, qui, après sa première session, ô surprise ! s’en déclare insatisfait. Peu après Shrî Goenka fonda la Vipassana International Academy à Igatpuri, dans la direction de Deolali à partir de Pune.
   
Dans sa recherche de manuscrits et de peintures de Nâtha-yogin, Tara se rend à Jodhpur au Râjasthan, qui fut un haut lieu pour cette école de yogin, et elle fait photographier intégralement par un photographe de Delhi, Avinash Pasricha, des illustrations de manuscrits consacrés au six chakra, et les fresques d’un temple dédié aux neuf Nâtha recouvert de peintures représentant les quatre vingt quatre Siddhas dans leurs postures favorites, avant que ce temple, devenu le local d’une école primaire, ne soit blanchi à la chaux. Elle en profite pour visiter d’autres villes du Rajasthan avec son mari.

    Puis ils rentrent à Paris où Tara rédige son travail sur le Hatha-yoga et le présente sous la forme d’un mémoire pour lequel elle obtient le Diplôme de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Ve section, Sciences Religieuses, en 1971.

    A leur retour, ils résident à la Cité des Arts où Edouard a obtenu un studio et Tara organise dans l’amphithéâtre de ce lieu un récital d’œuvres de son mari pour flûtes et deux ou trois instruments.

    Les parents de Tara se décident à accepter son mariage, alors que celui-ci commence à battre de l’aile. En effet, avant de quitter Poona, elle s'est décidée à revoir le Pandit Ram Narayan, ce que son mari ne lui pardonne pas.

    En 1972 le prof. Jean FILLIOZAT lui propose un poste de professeur à l’Institut Français d’Indologie de Pondichéry, pour pouvoir continuer à se former en Inde. T.M. accepte avec joie, et se rend à Pondichéry avec son mari.

    Elle saisit cette occasion pour élargir son champ de recherches et pour explorer cette fois la variété et la diversité des voies de yoga dans l’Inde ancienne et médiévale. Elle résume sa compréhension dans un ouvrage grand public, “Clefs ” pour Le Yoga. Ce texte, apprécié par Jean Filliozat pour sa densité et sa concision, sera rapidement épuisé chez Seghers, sera traduit et publié en portugais par les Editions Présence à Lisbonne, d’ou il se répandra au Brésil. Réédité en 1980 par les Editions du Rocher sous le titre Introduction aux voies de Yoga, il sera ensuite repris en format de poche par le Seuil dans la collection « Points-sagesse », sous le titre Yoga, puis Voies du Yoga.

    Le poste obtenu permet ensuite à T.M. de poursuivre sa formation d’indianiste au contact des pandits de l’Institut Français d’Indologie, dirigés par le Pandit N. Ramachandra BHATT, qui se consacrent à la collection, à la préservation et à l’édition de textes Shivaïtes nommés Âgama, en collaboration avec les membres de l’Ecole Française d’Extrême Orient.

    T.M. étudie alors auprès d’eux le Shivaïsme de l’Inde du Sud ou Shaiva-siddhânta (métaphysique, doctrine, éthique et pratiques rituelles), sous sa forme tamoule encore vivante actuellement et aussi sous sa forme ancienne sanscrite, plus difficilement accessible, consignée dans les Âgama. Cela lui permet de traduire et d’interpréter un traité court mais sibyllin de yoga shivaïte appartenant à cette école, “Le joyau du Yoga shivaïte” (Shiva-yoga-ratna) composé par Jñânaprakâsha, publié en 1975 par l’Institut Français d’Indologie. Ce texte, épuisé à Pondichéry, sera réédité à Paris, par Almora.

    Elle vient rendre hommage au samâdhi de Shrî Aurobindo, mais elle est déçue par la médiocrité des « messages » de la Mère de cet ashram, qui donne encore son darshan par la fenêtre une fois par an.

T.M. est très frappée par un témoignage vivant d’expérience d’éveil de Kundalinî raconté dans un livre écrit en anglais par un Indien du Cachemire, le Pandit Gopi Krishna, sur qui un déluge d’expériences non recherchées et incompréhensibles
est tombé sans qu’il sache ce qui lui arrivait et qui a longtemps lutté contre la folie sans trouver de maître compétent pour le guider. Elle entreprend de traduire en français son témoignage et de le présenter dans une introduction, sous le titre : Koundalinî, l’énergie évolutrice en l’homme, qui paraît au Courrier du Livre en 1978, sera rapidement épuisé, et sera réédité par les éd. J.C.Lattès en 2000 sous le titre Kundalinî, autobiographie d’un éveil, avec une introduction rédigée par un autre auteur.

A partir de 1974, ayant loué une maison près de Kalakshetra dans la banlieue de Madras, T.M. se lance dans une étude systématique et approfondie de “la physiologie du corps subtil” chez les yogin, supposée implicitement connue dans de nombreux textes sur le yoga d’inspiration Âgamique ou Nâtha et dans les Upanishad du yoga, mais dont la configuration et la signification demeuraient encore assez floues et obscures, d’autant plus que l’école de théosophie de Mme Blavatsky, Leadbeater et Annie Besant ont encore embrouillé le sujet en ajoutant leurs interprétations fantasmatiques.

T.M. choisit et réunit une série de textes sanscrits et de représentations imagées du yoga, certains anciens, d’autres classiques, certains baroques et enfin d’autres assez tardifs, qu’elle a trouvé au Rajasthan, sur le thème de la “géographie intérieure”, cette topographie de l’univers intérieur, non accessible aux sens, que les yogin sont censés découvrir dans leur propre corps par leur ascèse méditative et leur exploration des supports de concentration intérieurs. Les documents fondamentaux, textes et images, qui décrivent et décryptent ces “roues” (cakra), ces “canaux” (nâdî), ces “noeuds” (granthi), ces “signes” (linga) et ces “socles” (pîtha) dénombrés dans le microcosme humain (considéré comme homologue au macrocosme avec ses différents niveaux de réalité) représentent l’élaboration tantrique, dans toute son ampleur, sa complexité et son raffinement, de structures symboliques de base. Cet enseignement foisonnant d’ornementation dans le symbolisme constitue le Kundalinî-yoga et repose sur des conceptions doctrinales Shâkta de l’Energie cosmique (Shakti) présente sous une forme latente (enroulée”, “lovée”, Kundalinî) dans l’être humain et sur les techniques et les processus d’éveil de cette Energie. T.M. en fera sa thèse de doctorat de 3e cycle (1978).

Ses études l’amènent à entrer en relation avec des adeptes du culte Shâkta, en particulier Shrî Shankaranarayanan, disciple de Shrî Kapali Sastriar, et avec des professeurs versés dans cet aspect de l’Hindouisme.

Laissant de côté les rituels et la liturgie, extrêmement complexes, elle en étudie la bhakti par des hymnes (en particulier la Saundarya-laharî, “l’Océan de Beauté”, hymne attribué à Shankarâcârya par la tradition), par des litanies (en particulier Lalitâ-sahasra-nâman, la “litanie des mille noms de la Déesse Lalitâ”), et la doctrine avec le prof. P. K. SUNDARAM, au “Department of advanced study in Philosophy” de l’Université de Madras, en qui elle découvre un métaphysicien extraordinaire.

Durant son long séjour à Madras, T.M. approfondit aussi la célèbre exposition sur la valeur libératrice de l’expérience esthétique formulée par Abhinavagupta et les théoriciens sanscrits du rasa. Tout en assimilant cette perspective hindoue sur la nature et la portée de
l’expérience esthétique, elle entre dans la sphère d’influence d’un grand expert en arts à la personnalité très rayonnante, Shrî Y.G. DORAISAMI.

    Ce brahmane éclairé, à la fois orthodoxe et libéral, l’un des piliers de la renaissance de la danse en Inde du Sud après l’Indépendance, très écouté et recherché comme arbitre du goût à cause même de son exigence et de sa sureté de jugement, accueille avec bienveillance T.M. et l’initie à l’iconographie, à la peinture, à la sculpture, au théâtre dansé, à la musique carnatique, vocale et instrumentale, et aux styles de danse solo de l’Inde du Sud. Il l’introduit auprès des maîtres de ces disciplines et dans leurs écoles.

Mais Edouard MICHAËL, qui jusqu’ici avait suivi son épouse dans toutes ses pérégrinations, et en avait bénéficié, ne s’associe plus à tous ses enthousiasmes. Il veut restreindre les fréquentations de sa femme, et émet des réserves envers tous les maîtres hindous en général; à la suite d’un désaccord intervenu entre eux, il préfère ne plus suivre son épouse en Inde après un congé de deux mois qu’ils passent en France pendant l’été de 1975. Il reste en France et elle repart en Inde, chacun prend le chemin que lui réservait le destin. Le divorce sera prononcé le 26 janvier 1977, autorisant Tara à conserver l’usage du nom de MICHAËL sous lequel elle a écrit plusieurs livres.

   
T.M. est maintenant entièrement sous l’égide de Shrî Y.G.D., qui lui a affirmé que sans une connaissance théorique et pratique de la danse, sa culture hindoue ne sera jamais complète. Acceptant le défi, ayant un corps très souple grâce à la pratique des postures du Hatha-yoga, elle étudie intensément la pratique du Bharata-natyam pendant deux ans; elle s’intéresse aussi aux affinités formelles entre certaines postures du Hatha-yoga et certaines figures se figeant dans une pose (karana) de danse, qui constituent les 108 unités de mouvement du Tandava, la danse à caractère cosmique attribuée au Dieu Shiva.

Lors du Festival de Madras en décembre-janvier de chaque année, les meilleures troupes des différents styles de danse et de théâtre dansé de l’Inde (Kuchipudi, Kathakali, Mohini-attam, Yaksha-gana, Rasa-lîlâ, etc.) viennent y donner des représentations. T.M. fait connaissance personnellement avec les artistes et les chefs de troupes grâce à l’introduction de Shrî Y.G. Doraisami, qui affine son discernement dans les excellences et les caractéristiques de chaque style, et dans les qualités et défauts des artistes.

    En 1978, T.M. revient à Paris pour obtenir son Doctorat en Etudes Indiennes, en soumettant une thèse sur les six cakra et le Kundalinî-yoga, fruit de son travail à Madras, à l’université de Paris-Sorbonne. Ce travail sera publié sous le titre Corps Causal et Corps subtil, au Courrier du Livre, en 1979.

Tout en poursuivant ses recherches sur le Yoga, tant dans ses aspects contemplatifs les plus austères propres à sa forme classique que dans ses aspects postérieurs luxuriants d’images symboliques et de visualisations,
T.M. maintient à titre de discipline personnelle secondaire une pratique de trois heures de danse par jour. A partir de 1975, elle remplace l’apprentissage du Bharata-natyam par celui de l’Odissi, guidée par un maître de l’Orissa, présenté par Shrî Y.G., Guru Ramani Ranjan Jena, disciple de Guru Khelucharan Mahapatra, et qu’elle retient à Madras. Ce style, dépourvu de recherche de la virtuosité par la vitesse, à la différence du Bharata-natyam et du Kuchipudi, moins géométrique, abondant en courbes et en ondulations, lui convient mieux, étant plus intériorisé et plus sacralisé, et fondé sur un répertoire presque exclusivement formé de poèmes sanscrits.

    Le Pandit Ram Narayan vient lui rendre visite à cette période, et elle conserve avec lui de bonnes relations.

Elle échange une longue correspondance avec Sonam Topgay Kazi, le traducteur du Dalai-Lama qui a guidé Arnaud Desjardins dans sa quête des maîtres spirituels Tibétains pour son film « Le message des Tibétains ». Celui-ci l’avait rencontrée longtemps auparavant en France, en Dordogne lorsque Gérard Benson avait fait don de son château aux maîtres Tibétains. Il vient lui rendre visite à Madras et l’invite dans le centre qu’il a fondé aux Etats Unis.

    En 1980, elle organise en collaboration avec Shrî Y.G.D. un séminaire de Noël en Inde à l’intention des enseignants de Yoga. Ce séminaire de dix jours, intitulé « Yoga, Hindouisme et Danse », qui a lieu à Golden Beach Resort, Enjambakkam, près de Madras.

   Son poste de formation de recherches s’achevant, en Août 1980, T.M. rentre à Paris après huit ans de séjour continu en Inde du Sud, et elle est nommée peu après chargée de recherches au C.N.R.S., dans une équipe d’Indianistes appartenant à la section 44 : “Civilisations orientales” des Sciences de l’Homme et de la Société, avec André Padoux comme Directeur d’études.

    Ayant réussi à se réadapter à la vie en France et à surmonter, les séquelles d’une grave amibiase contractée peu avant son départ de l’Inde, elle achève un livre Mythes et Symboles du Yoga (publié par la suite par les éditions Trismégiste, et préfacé par Pierre Solié). Elle encourt pour cet ouvrage les critiques de certains directeurs de recherches du C.N.R.S. qui lui reprochent de laisser transparaître une implication personnelle dans les enseignements de yoga exposés, décryptés, et analysés, au lieu d’observer la distanciation scientifique et objective de mise chez les savants occidentaux, démontrant leur absence de participation à “ces croyances propres à l’imaginaire indien”. 

     Elle propose ses compétences au milieu des “enseignants de yoga” en France, fait de nombreuses conférences et anime des ateliers ; elle assiste à des “Assises nationales” et à des “Congrès européens” à Zinal en Suisse de “professeurs de yoga”. Elle offre sa contribution pour améliorer le programme des formations ayant cours et pour relever le niveau du “Minimum de connaissances et de qualifications exigées” défini par la Fédération française de yoga pour conférer un “diplôme d’enseignant”. Mais, à l’exception de quelques solides amitiés nouées ça et là, T.M. se trouve aux prises avec la prédominance solidement établie d’un soit-disant “yoga adapté aux Occidentaux”, excluant toute visée spirituelle et toute référence à la Tradition hindoue. Dans cet ahurissant foisonnement d’écoles très diverses,  le seul dénominateur commun - quelques rares écoles exceptées - est de se dérober à toute autorité et de greffer sur une pédagogie plus ou moins développée des postures du Hatha-yoga, quelques exercices de relaxation et beaucoup de fantaisie individuelle.

    Bien que les écoles prétendant à un certain sérieux fassent référence au manuel de Hatha-yoga fondamental traduit et explicité par T.M., la Hatha-yoga-pradîpikâ (« petite torche » qui est à la fois “lumière du Hatha-yoga” et “lumière sur le Hatha-yoga”), ainsi qu’aux Yoga-sûtra de Patanjali, cet appui est très souvent superficiel et théorique. Cela n’est pas à attribuer uniquement à une fermeture d’esprit ou à un manque de volonté seulement des enseignants, dont beaucoup sont sincères et compétents, mais à la nature très bornée de la demande des élèves (particuliers ou cadres d’entreprise), qui ne cherchent la plupart du temps rien de plus qu’un mieux-être immédiat, une bonne forme et un simple dégagement de leurs anxiétés habituelles. Cette dérive matérialiste est encore accrue par l’engrenage du système social, qui oblige les enseignants à gagner leur vie en commercialisant leurs cours, leurs stages et leurs formations.

    Le plus grand succès que T.M. ait obtenu sur ce plan fut de réussir, une année où qu’elle avait fait venir en France pendant un mois son maître de Védanta le Prof. P.K. SUNDARAM, à le faire inviter à un Congrès International de Yoga à Zinal en Suisse : il y fit plusieurs exposés magistraux sur les différents points de vue du Védanta : Advaïta avec Shankara, Vishishta-advaïta avec Râmânuja, Dvaïta avec Madhva, et donna aussi quelques enseignements à la Fédération Nationale de Yoga de la rue Aubriot à Paris, grâce à Ysé Masquelier et Patrick Tomatis.

    Elle organisa aussi la venue en France et deux sessions de méditation Vipassana par son maître Shrî S.N. Goenka. Mais l’intolérance manifestée par celui-ci à l’égard des statues de Bouddhas et de Bodhisattvas présentes dans le monastère Vajrayâna qui lui avait été généreusement prêté pour l’enseignement de « sa méditation sans formes « , et qu’il fit recouvrir d’un drap blanc, après avoir fait enlever toutes les thangkas et les lampions suspendus, considérant toutes ces œuvres d’art comme l’expression d’un « Bouddhisme corrompu », la refroidit beaucoup et la désole . A ces stages de méditation Vipassana fut présent Jacques Brosse, un ami écrivain, disciple de Taishen Deshimaru, qui devait devenir moine Zen.

     En 1984, T.M. participe à une table ronde du CNRS sur les diagrammes sacrés dans l’Hindouisme par un exposé sur le diagramme sacré du Shrî-cakra tel que lui rend hommage “ l’Océan de Beauté” (Saundarya-laharî), un texte d’adoration à la Déesse suprême attribué à  Shankarâcârya. Son exposé paraît sous forme abrégée dans l’ouvrage collectif : Mantras et diagrammes rituels dans l’Hindouisme, Editions du C.N.R.S. 1986.

    Bien qu’elle s’abstienne de récital public à Paris (elle en donne quelques uns seulement en province) pour ne pas compromettre l’étiquette qui lui est imposée, l’intérêt que T.M. manifeste pour la danse hindoue et qu’elle tente de faire partager ne manq
ue pas d’être désapprouvé par les érudits du C.N.R.S., qui y voient une frivolité et une dispersion indignes d’un savant. Pour dissiper ces préjugés, pour démontrer que la danse en l’Inde est inséparable de la vie religieuse, rituelle et esthétique et devrait constituer un domaine ouvert à la recherche, et pour transmettre son expérience de danseuse, T.M. consacre un ouvrage trilingue (sanscrit, français, et anglais) à la symbolique des gestes de main (hasta ou mudrâ) dans les danses sacrées de l’Inde, illustré par plus de 700 photographies noir et blanc, véritable dictionnaire de la gestuelle, qui paraît en 1985, année du Festival de l’Inde en France (auto-édité, grâce à un petit héritage de son père, décédé dans une opération du cœur quelques mois auparavant). Le C.NR.S a dédaigné son ouvrage, et les éditeurs le trouvent trop « pointu ».

    Invitée à un colloque sur le Yoga et le Bouddhisme, auquel participent Jean-Pierre Schnetzler, Francois Chenique, Robert Dumel, Ysé Masquelier, Lama Tenpa, Gérard Blitz et Lama Denys, à l’Institut Karma Ling, à Arvillard près de Chambéry, T.M. fait une communication sur ‘le vœu du Bodhisattva dans le Mahâyâna’ ; et par la suite elle est sidérée d’entendre dans cette ancienne Chartreuse de Saint Hugon les enseignements du Vajrayâna tibétain exprimés dans une excellente langue française, sans traducteur, directement ! Elle reste en relations avec le directeur spirituel de ce Centre, le Lama Denys Tendroup, disciple du vénérable Kalou Rimpoche. Les communications du colloque sont publiées sous le titre : Yoga, méditation et Bouddhisme aux Editions Prajña, en 1986, rééditées en 2013, Le Bois d’Orion.

    Son livre sur La Symbolique des gestes de mains lui vaut d’être l’invitée d’honneur de l’Etat de l’Orissa en 1986, où elle prend connaissance du travail de préservation du répertoire de la danse Odissi effectué par l’Odissi Research Centre de Bhubhaneswar. A la suite de ce contact, elle élabore un projet en négociant à travers Shrimati Kumkum Mohanty, directrice de cet Institut, un accord avec le grand maître d’Odissi Khelucharan Mohâpatra,
alors âgé de 80 ans (et maître de son propre Guru Ramani), pour tenter un enregistrement vidéo préservant les compositions originales de ce Senior Guru. En 1987, elle obtient une mission du C.N.R.S. pour enregistrer en vidéo à Bhubaneswar tout le répertoire des morceaux de danse expressive (abhinaya) de style Odissi composés par ce maître sur le poème sanscrit du Gîta-govinda. Malheureusement le CNRS Audiovisuel ne lui fournit pas de caméra professionnelle et aucun technicien du CNRS ne veut l’accompagner sur le terrain, n’étant pas missionné avec une rémunération appropriée. Elle viendra à bout de son entreprise grâce à la collaboration gracieuse d’un caméraman indien du Pays Tamoul, Madhu THYAGA-RAJAN, qui obtint l’accord du Guru pour l’enregistrement sonore de ses compositions, alors qu’il voulait augmenter démesurément sa rémunération malgré l’accord initial conclu avec Kumkum, et qui tourna le vidéo film malgré la médiocre qualité des caméras prêtées.

    A l’occasion de ce tournage, Madhu lui fit remarquer un très jeune disciple du Guru Khelucharan Mohapâtra, un danseur Odissi plein de grâce et d’un style très pur nommé Anil Kumar Lenka, et elle lui demande de l’assister dans sa pratique de danse personnelle durant les heures creuses, son propre maître, le Guru Ramani, étant devenu célèbre, assez coûteux, et très occupé par la composition d’un ballet.

    En 1988, elle collabore avec l’éditeur d’art Alain MAZERAN à la publication de deux livres d’art sur les danses de l’Inde : Visages de la Danse Indienne et Gîta-Govinda, qui ont contribué à populariser les danses de l’Inde en France. Ils choisissent délibérément un grand nombre en photos de danseuses et de danseurs français, pour démontrer que les danses de l’Inde ont acquis un statut international et que Françaises et Français peuvent y exceller autant que les Indiens.

    En 1990, T.M. retourne en Inde dans le pays tamoul, à Pondichéry, le photographe, caméraman, et maître d’arts martiaux (silambam : arts des bâtons de bambou) Madhu Thyagarajan,
originaire d’un village proche de Chidambaram (le temple de Shiva Natarâja).  Il est qualifié aussi dans la pratique des massages ayurvédiques dans les arts martiaux..

    Elle réunit d’exceptionnels documents iconographiques sur les 84 Siddhas à propos d’un article sur le yoga de la tradition Nâtha qui lui permet de faire connaître de très belles photos de peintures prises dans le temple de Jalandharnâth à Jodhpur dans le Rajasthan; cet article paraît dans le numéro 20 de 1989 de la revue d’art FMR (Franco Maria Ricci, Milan), en plusieurs langues (italien, anglais, français). Un autre article, consacré au style de peinture du royaume de Tanjore, XVIIe-XIXe siècles, style d’icônes tardif et mal connu, mais encore conforme aux canons traditionnels, paraît avec de nombreuses reproductions en couleurs dans la même revue FMR, en décembre 90.

    En 1989, elle rédige pour l’Encylopédie Philosophique des Presses universitaires de France, tome III et IV, grâce au Prof. Michel Hulin, tous les articles sur les termes techniques du Yoga, et le condensé des œuvres majeures en sanscrit traitant de Yoga, puis contribue au Dictionnaire Encyclopédique de l’Esotérisme, par des articles sur « Le langage crépusculaire ou intentionnel dans les Tantra », et sur « La physiologie mystique ou corps subtil dans le Yoga », pour les même P.U.F.

    En 1990, elle décide de s’établir dans le Sud de la France, à Arles, retrouvant ses ascendances méridionales, et se rendant à ses réunions du CNRS une fois par mois à Paris en TGV.

    T.M. achève en 1991 une introduction au Shivaïsme et la traduction du début du Shiva-purâna, intitulée La légende immémoriale du Dieu Shiva (Gallimard, coll. “Connaissance de l’Orient”). Dans cette introduction, elle établit un plan d’ensemble de la Tradition hindoue, et étudie le sens des mythes dévoilant la personnalité du Dieu Shiva, à la fois “Seigneur des Yogin” (Yogeshvara) et “Roi des Danseurs” (Natarâja). On y découvre la voie de bhakti shivaïte.

    En 1992, elle poursuit ses recherches sur le Yoga dans un ouvrage Intitulé : le Yoga de l’Eveil dans la tradition hindoue, qui paraît aux éditions Fayard, Paris, dans la collection “Espace intérieur”. Dans un vaste panorama de l’émergence et de l’évolution des voies de Yoga au cours de dix-huit siècles de tradition dans l’Inde hindoue. Elle va à l’encontre de thèses répandues par Alain DANIÉLOU ; elle démontre l’enracinement du Yoga dans les Dharma-shâstra et les Smriti composés par les législateurs brahmaniques, dès les plus anciens traités, ce qui semble un point capital à l’appui de l’origine védique des techniques et des visées du Yoga-darshana.

Dans une seconde partie, elle édite et traduit l’Upanishad de l’Adoration du Soi (Âtma-pûjâ-upanishad), qui fait le parallèle entre le moment de l’adoration ritualisé et les stades du Yoga. Elle explique les relations entre Religion et Yoga à l’intérieur du Shivaïsme.

Enfin dans une troisième partie, elle présente et traduit un texte inédit, l’Amanaska-Yoga : « Le Yoga non mental », ou « Voie vers l’Inconcevable », qui est atteint au terme d’une « Voie de la Traversée » (Târaka-yoga). Ce texte abonde en métaphores et en paraboles, et il est parfois attribué à Gorakshanathâ.

    En 1993, elle inaugure une collaboration avec la Revue “Vers la Tradition”, qui perpétue l’influence spirituelle de René Guénon, et œuvre à “répandre la lumière et rassembler ce qui est épars”, par un article sur ‘le langage crépusculaire’ et continue d’y contribuer jusqu’à ce jour.

    En 1994, elle participe à une autre revue d’inspiration Guénonienne, « Connaissance des Religions, » dirigée par Michel Bertrand, commençant par un article sur ‘l’origine des danses sacrées en Inde’, poursuivant par un autre article sur ‘la structure du corps subtil dans le Yoga hindou’, et achevant par un article sur ‘le polythéisme védique’.

    Elle approfondit sa connaissance des mudrâ ou gestes de mains servant de ‘sceau’ en étudiant leur utilisation dans la psalmodie védique, et le rituel âgamique, et publie cette étude dans une contribution à EURASIE, le cahier N°4 de la Société des Etudes Euro-asiatiques, en 1993.

    En 1993, elle participe au Colloque International d’histoire des religions ‘PSYCHANODIA’, ‘Religions mystériques et destinée eschatologique de l’âme’ (Paris, INALCO, 7-10 septembre 1993, qui rassemble autour de ce thème de recherches quelques 40 participants venus de différents pays, pour honorer la mémoire de I. P. Couliano (1950-1991), historien des religions d’origine roumaine, disciple de Mircéa Eliade, dont la vie a été fauchée par un acte criminel. Sa contribution s’intitule ‘Destinée après la mort et libération d’après les Upanishad et leurs commentateurs Védântins’. Les actes de ce colloque paraissent en 2006 sous le titre : Ascension et hypostases initiatiques de l’âme, publiés par Les Amis de I.P. Couliano.

    Elle prépare un ouvrage de longue haleine sur la Prise de posture dans le Yoga, , depuis les postures prescrites par Patañjali dans ses Yoga-sûtra, par Vyâsa dans son premier commentaire et par tous les autres commentateurs du Râja-yoga au cours des siècles, répertoriant à chaque fois la définition sanscrite de la posture et son interprétation par les yogin actuels, puis observant l’émergence et le développement de la prise de posture chez Nâtha-yogin, au cours du temps et dans les textes successifs qui ont abouti à l’élaboration du Hatha-yoga. Elle souhaite inclure dans cet ouvrage, encore en préparation, la totalité des peintures de fresques des quatre-vingt-quatre siddhas qu’elle a collectées au Rajasthan.

    Elle entretient une correspondance suivie avec un autre écrivain, Pierre FEUGA, depuis qu’il lui a écrit en 1989, elle le guide, l’introduit au Secrétaire de rédaction de la Revue Connaissance des Religions, pour qu’il contribue lui aussi à cette Revue, et elle a une grande connivence avec lui. Elle relit les épreuves de son livre Tantrisme : doctrine, pratique, art, rituel, puis collabore avec lui à la rédaction d’un ‘Que sais-je ?’ sur Le Yoga pour les P.UF. en 1998.

    Elle fonde à Arles dès son arrivée en 1990 l’Association ‘L’Inde en Provence’, 4 rue des Flamants, Quartier Barriol, 13200, pour promouvoir et diffuser la culture hindoue et les arts sacrés, son mari prend une licence d’entrepreneur de spectacles. Ils organisent plusieurs récitals de danse indienne, prenant le relais de l’Association France-Inde à Arles.

    Entre 1999 et début 2007, mettant l’Association en sommeil, elle obtient de nombreuses missions de neuf mois à Pondichéry pour séjourner en Inde, où son mari écrit un scénario, puis poursuit un projet de réalisation cinématographique.

    Elle y traduit ‘Le secret de la volupté’ (Rati-rahasya), un art d’aimer du XIIe siècle, par le poète Kokkoka, et fait exécuter des illustrations en style patachitra par un artiste de l’Orissa, sur une commande de Jean-Paul Bertrand, directeur des éditions du Rocher, mais celui-ci ayant pris sa retraite, elle reprend son manuscrit et travaille à une longue introduction sur la sexualité dans l’Inde ancienne, encore à paraître.

    Poursuivant ses recherches sur les Nâtha-yogin, elle établit la liste complète des œuvres de Goraksha-nâtha, le fondateur de la secte, et traduit du sanscrit deux d’entre elles : Un texte célèbre de cent vers, ‘la Centurie’ (Goraksha-shataka), dont elle établit l’édition critique, et une œuvre longue et difficile, qu’elle retravaille avec plusieurs pandits, ‘le Guide des principes des Siddhas’ (Siddha-siddhânta-paddhati), en six chapitres. Ces deux textes sont publiés en 2007 par les éditions Almora dont Pierre Feuga est devenu le directeur de collection.

    Elle collabore à La Revue de l’Inde n°6 (janvier-mars 2007), Spécial Yoga et Ayurveda, par un article intitulé : ‘A la recherche de la Philosophia perennis (mes expériences en Inde)’.

    Avant de quitter Pondichéry, elle rassemble les notes qu’elle avait prises chez Philippe Lavastine et toutes les transcriptions d’enregistrements sur cassettes de ses conférences, en groupant les sujets par thèmes pour en faire un livre tel qu’aurait pu l’écrire cet homme remarquable, intitulé Des Védas au Christianisme, hommage à Philippe Lavastine (1908-1999), publié en octobre 2009 par les éditions Signatura.

    Elle réside dorénavant en Arles où, ayant pris sa retraite du CNRS, sa plume est libre, et elle travaille à l’achèvement de ses ouvrages. Elle propose des cycles de conférences à l’intention des enseignants et pratiquants de Yoga, qui veulent se situer dans le cadre de la tradition hindoue.

    
En 2012, elle rencontre le maître Yogî Matsyendranâth Mahârâj et organise sa venue en France au mois de juin 2013.

    L’enseignement de ce yogi a été très apprécié et répond à la profonde recherche d’un veritable Hatha-yoga ou Nâtha-yoga relié à la tradition hindoue, comme jamais auparavant il n’a été introduit en France.